Ce qui nous tue en Haïti, ce n’est pas l’épidémie de covid-19. On se rappelle que nos experts de la Commission multisectorielle de gestion du Covid-19 avait prédit des millions de contaminés, des centaines de milliers d’hospitalisés, des milliers de morts. Rien de toute cette prédiction n’est arrivé. Le tremblement de terre qui n’était pas programmé dans notre calendrier de phénomènes naturels à prévoir a frappé la péninsule sud d’Haïti. Plus de deux mille morts, des dizaines de milliers de blessés. Des milliers de sans-abris. Un facteur aggravant de stress pour un pays miné par tous les problèmes.
Le Réseau haïtien des journalistes de la santé (RHJS) a constaté que ce qui tue ces jours-ci en Haïti, c’est le stress. Il atteint ses pics, ses hauts sommets dans le silence le plus total quand la politique et les flux de nouvelles submergent tout.
Le Réseau, désarmé, avançant avec ses ongles, n’ayant pas d’études statistiques pour corroborer ce qui se passe dans les faits, constate cependant à travers le maillage de son réseau de journalistes réparti dans la capitale et la province. Avec quelques informations glanées ici et là, le RHJS se rencontre qu’à travers des données éparses récoltées par le biais des informations de première main, le stress tue à petit feu. Un ami tombe, un parent, le père d’un ami, un parrain, une marraine, des voisins et voisines, le taux fréquent des informations qui reviennent comme un refrain lancinant. Ces informations sont un appel à des études de terrain. Ils ne sont pas aussi âgés que cela ceux qui tombent. Ils sont dans la quarantaine, la cinquantaine. Et dans le rang des septuagénaires, la mort visite et ravit à notre affection tant et tant d’êtres chers.
Le stress, cette réaction normale de l’organisme dans un environnement, devient un problème dans notre train de vie actuelle ponctuée par des concerts d’armes, des kidnappings au quotidien, les viols, les menaces, les déportations massives d’Haïtiens, le cynisme de la classe politique alliée à l’international dans la résolution de la crise haïtienne. L’image avilissante d’Haïti sur les réseaux sociaux détruit l’humanité haïtienne et favorise la montée du stress. Trop d’angoisse, trop de pression. Trop d’anxiété. La tension est insoutenable !
Le stress désarme
Face à la prostration de l’État haïtien devant les problèmes cruciaux de la société, le citoyen se sent désarmé. Il assiste à l’effondrement des institutions qui devraient le protéger.
L’individu ne sait pas s’il doit s’armer, recourir à la violence comme le fait ceux qui se regroupent en gang. I ne sait pas s’il doit fuir le pays ou rester pétrifier sur place en attendant une mort lente.
Dans cet immobilisme, l’individu se retrouve seul. Certains s’appuient sur la famille. Et quand un membre de la famille est kidnappé, l’angoisse s’accélère, le temps s’amplifie, on vieillit en un rien de temps. La vie se suspend à un fil, elle ne vaut plus rien, elle est comme la poussière qui s’envole au vent mauvais.
Quand l’État joue au grand muet, l’individu essaie de se réfugier dans l’église. La prière devient l’arme absolue pour se consoler. Et le chrétien, retranché derrière sa Bible, chante, le regard perdu :
« Vers qui se tourner quand la source des larmes est tarie?
Vers qui se tourner quand la mort semble plus douce que la vie?
Vers qui se tourner quand on offre aux siens tant de malheur?
Vers qui se tourner quand nos amis sont las de nos pleurs?
Nous allons vers Jésus qui nous dit: «venez à moi…»
À présent, en Haïti l’Église n’est plus un abri sûr. Les pasteurs sont kidnappés, les fidèles sont abattus sur place et parfois en direct.
Tant d’agressivité, tant d’angoisse, tant de situation incontrôlable affectent notre organisme. Conséquences, maladies organiques, problèmes cardiovasculaires, ulcère d’estomac, troubles mentaux ; le stress est aussi vecteur d’accélération de l’évolution de certaines pathologies telles que cancers, maladies auto-immunes, déficits immunitaires et autres.
Un cas précis pour illustrer le stress au sein de notre association. Le taux de stress d’un journaliste senior était tel que son taux de cholestérol a augmenté rapidement. Le spécialiste qui l’a suivi pendant sa traversée du désert a réalisé que les taux anormaux de cortisol étaient la cause de son mal. Le journaliste de santé apprendra que le cortisol, cette hormone, a un effet direct sur l’assimilation des graisses et des sucres.
Le RHJS réalise que le stress est un comme une pieuvre qui vous prend dans ses filets. L’association n’arrive pas à fonctionner comme à son habitude, elle est paralysée comme le pays. Définitivement, le stress vous cloue sur place et crée une culture de la sédentarité. Demander à un diabétologue ce que provoque l’absence d’activités physiques chez un patient souffrant de diabète ?
Le stress nous tue. Le stress altère la santé délétère de nos artères.
Claude Bernard Sérant