L’annonce d’un super championnat de foot avait été reçue avec euphorie partout au pays. En particulier dans les quartiers les plus remuants de la guérilla urbaine à Port-au-Prince.
La FASR, ou la Fédération haïtienne du sport-roi, coiffée par la CIFA, Confédération internationale du football amateur, avait défini les règles du jeu, basées sur la performance individuelle et collective, assorties d’un tableau d’honneur et de primes très alléchantes. Tout pour susciter les ardeurs à y participer.
Chaque inconditionnel du ballon rond se mettait en condition de briser son propre record en raflant le plus de titres possibles. Les gains financiers espérés l’emportaient même sur la disposition à bien jouer avec tout le fair-play que cela exige dans le meilleur des mondes. Thésauriser le plus possible, c’était leur objectif majeur dans un contexte d’enrichissement illicite presque généralisé. Des avantages financiers liés au sport, ils ne les avaient vus qu’à la télévision, quand les plus doués de leurs idoles internationaux, tels que Leonel Messi et Cristiano Ronaldo, pour ne citer que ces deux-là, se disputaient les plus hautes distinctions liées au foot, leur rapportant de mirobolantes fortunes.
À Grand-Ravine, comme à Village-de-Dieu, de petits ‘’stadium’’ improvisés poussaient comme des champignons, financés à coups de billets verts par l’industrie du kidnapping. Les uns furent plus luxueux que les autres. Jamais un stade national n’a été construit en un si court laps de temps et ne coûtait autant d’argent. Quant aux équipements, ballons, uniformes et divers gadgets, ils portaient les noms des kaïds qui les avaient financés ou qui dirigeaient les différentes équipes. Ainsi, de nouveaux challenges, frisant le culte de la personnalité, se multipliaient de jour en jour.
Le Communiqué gouvernemental, émané du Ministère des Sports, concernant ce championnat peu commun, gagnait énormément de terrain dans la presse nationale. Les battages publicitaires grassement payés par la pègre armée entrainaient une stimulation inaccoutumée dans les ghettos, au point que l’actualité sportive recueillait la plus haute cote d’écoute par rapport à ce qui a trait essentiellement à la politique publique du pays. Certaines stations de radio et de télévision, y compris de nombreux réseaux de communication en ligne, se faisaient l’écho sonore de ces clubs autosuffisants, reflets de ces richesses mal acquises dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince.
La liste des équipes inscrites pour ledit championnat accusait des noms qui défiaient l’imagination des bien-pensants : Mati-San ; Papè-Chay ; Pitit-Satan ; Bakchat ; Kadejak ; Kidnapping, pour ne citer que celles-là. Ces très reluisants chefs de gangs sportifs ne cachaient pas leur orgueil d’avoir à leur solde des journalistes de renom, appelés communément des ‘’marchands de micros’’.
En matière d’appréciation et de sélection des équipes, par catégories, la Fédération nationale ne pouvait se permettre de prioriser l’une au détriment de l’autre, car c’était non seulement à ses risques et périls, mais c’était aussi aller à l’encontre du projet concocté sur mesure par plusieurs instances internationales, dont la CIA et la DEA.
La CIFA qui avait coiffé ce championnat, en sa qualité de Confédération internationale du football amateur, en savait long des participants les plus actifs, et les noms des équipes parlaient en abondance des possibilités de nuisance de leurs membres à l’échelle nationale. Ces mecs des quartiers de non-droit étaient passé-maîtres en roulette russe à la balle, aux mains comme aux pieds ; le cuir comme le fer n’avaient pas de secret pour eux. Aux yeux du spécialiste américain, expert en ‘’Foot’’, envoyé en mission sportive par le Département d’État, ils s’étaient révélés tellement excellents dans les tours de passe-passe et les jeux de passe courte, qu’il dut démissionner par acquis de conscience, se jugeant inapte à leur apprendre quoi que ce fut de plus. Honnêteté diplomatique oblige. Attitude d’homme à l’échine droite pouvant inspirer nombre d’incompétents qui nous dirigent, s’ils respiraient par les narines et non par quelque autre ouverture…
La goutte d’eau qui avait fait déborder le vase, à la grande stupéfaction de l’émissaire du ‘’Foot’’, c’était un match décisif gagné par la sélection de Grand-Ravine aux dépens de celle de la PNH. Ses deux successeurs venus comme lui de Washington souffraient également de ne pouvoir en 24 heures former une équipe homogène à même de faire face aux puissantes formations de ces francs-tireurs au but, dont les frappes sonnaient comme des obus. Qui donc sur le terrain de jeu pouvait mieux que ces envoyés spéciaux développer des stratégies pour arriver à bout de ces joueurs de haut calibre qui visaient en plein cœur les meilleurs gardiens, sans aucune chance de recouvrer la vie ? C’est le cas de dire : Aux balles bien tirées, les frappes mortelles n’attendent point le nombre des visées. Telles ont été les opinions exprimées par deux spécialistes haïtiens de la balle aux mains qui s’étaient offerts comme solution de rechange, et dont l’un prévoyait dans au plus trois mois la fin du bal des trépassés sur le terrain de jeu.
Cependant, usant de leurs pleins pouvoir de suggestion, les nouveaux émissaires américains avaient pu prescrire la fusion des équipes perdantes pour faire face à celles qui étaient les mieux armées pour toujours gagner jusque-là.
L’on se rappelle les noms bizarres que portaient ces équipes victorieuses à tout coup. Et l’on se souvient que ce championnat a été conçu par ‘’l’intelligence internationale’’. Quel était en fin de compte l’enjeu d’une telle initiative et à qui allait-elle profiter ?
Sur le terrain, comme on l’a vu, des équipes régulières avaient du mal à tenir le coup, et les supports traditionnels venus d’ailleurs se révélaient inefficaces dans leurs interventions sur le terrain de jeu. Il fallait coûte que coûte compter avec les ressources du milieu, sans toutefois faire fi de de l’accompagnement tactique et financier de l’international, pourvu qu’il ne soit fait de diktats et qu’il n’apporte des solutions toutes faites.
Avec les défaites successives de l’équipe de la PNH, ainsi que celles de la Société civile organisée, de l’opposition et des pouvoirs d’État, il avait fallu développer de nouvelles tactiques de jeu pour gagner à tout coup les parties à venir. Les deux techniciens haïtiens qui avaient respectivement proposé des plans d’attaque n’ont pas été pris au mot, et ils se rongeaient les freins de constater qu’aucun joueur génial n’avait émergé dans la pépinière légale pour dribbler et marquer contre les dangereuses équipes adverses. Face à cette situation de déficience sociale, ce championnat ciblé s’avérait d’une importance capitale à l’entendement de l’intelligence internationale ; il lui permettait d’identifier les plus puissants tirailleurs qui mettaient à mal la vie nationale. L’astuce consistait à les mettre en confiance sur les ouvertures internationales au terme de ce championnat.
De leur côté, les deux tacticiens haïtiens, repus au métier des balles, avaient beau proposé des approches de mise en échec de ces équipes qui avaient pour espace d’entrainement tout le Grand Sud du pays ayant Martissant comme unique porte d’entrée et de sortie. Leurs propositions furent jugées non tout à fait concluantes par certains, en termes de rapports de force. La balance, croyaient-ils, penchait davantage d’un côté, et le fléau indiquait toujours une déficience majeure au niveau de l’axe régulière. Ainsi, le jeu en valait la chandelle avec l’idée de ce championnat canalisant toutes les énergies vers la grande passion nationale : le football. C’était l’occasion de galvaniser toutes les forces vives de la nation, pour séparer le bon grain de l’ivraie. Réveiller toute la fierté née des exploits de Manno Sanon, Philippe Vorbe, Lens Domingue, Ti-Pierre Bayonne, Henri Francillon,Tom Pouce et consorts, lors de la Coupe du monde de 1974. Grenadiers, ils le furent à l’instar des héros de notre indépendance nationale. Le ‘’toup pou yo’’ de ce passé glorieux ne devait pas signifier dans ce championnat la force des balles assassines.
L’intelligence internationale avait réussi un coup de maître en redressant ce fier sentiment sportif tourné vers des stades étrangers, au point de formater l’esprit de nos Jeunes à se croire Allemands, Brésiliens ou Argentins.
Dans l’esprit d’un congrès national qui devait se tenir au Centre sportif de la Croix-des-Bouquets, chaque mini stadium des zones de non-droit avait réalisé ses propres séances de motivation et d’entrainement secret pour savoir à quel moment imposer son style de jeu mort-raide.
Dans l’espace du congrès, à la Croix-des-Bouquets, les consignes de participation étaient strictes ; il fallait y entrer les mains nues, et une fois à l’intérieur, aucune communication téléphonique n’était admise. Le système de sécurité, assuré uniquement par des Blancs, se révélait imperméable. Entretemps, sur le plan de la stratégie policière, les zones de non-droit ont été entièrement encerclées. Les journalistes acquis aux gangs étaient également sous contrôle, si bien que rien n’avait fuité de ces dispositions stratégiques.
Comme dans la morale haïtienne du chat et des rats, à minuit pile, la veille du championnat – qui n’en était pas un évidemment – le gros chat international avait mangé toute la racaille de la trotte-menu.
Mérès Weche
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