« Je rentrais voir ma mère au Cap-haïtien. Bizarrement, elle m’a dit avoir entendu que je faisais partie de la religion LGBTI. Elle m’a conseillé de faire attention. Ses mots m’ont rendu nostalgique. Je comprenais que si elle et moi, nous étions plus ou moins proches dès le début, peut-être, je ferais moins d’erreurs dans ma vie », a confié Gérald Marie Alfred, le 10 décembre 2020, dans les jardins de l’hôtel Montana, à l’occasion des activités commémoratives de la journée mondiale des droits humains et du lancement de l’Observatoire communautaire des services VIH (OCSEVIH)
Gérald Marie Alfred, un homosexuel vivant depuis 20 ans avec le virus du VIH, avait déclaré ouvertement, ce jour-là, sa séropositivité. Élégamment vêtu, le poignet mettant en relief une belle montre, le quarantenaire bien costaud, la tête haute, s’est livré à la presse dans les jardins de l’hôtel.
Questionné sur son état psychologique après avoir appris qu’il avait le virus dans son organisme, l’activiste répond d’un ton calme : « Quand j’ai appris que j’étais infecté du VIH, j’étais extrêmement déprimé. J’ai pris un an avant de m’en remettre et d’assumer ma maladie ».
Gérald Marie Alfred est membre fondateur et actuel président du comité exécutif de l’Action Citoyenne pour l’Égalité Sociale en Haïti (ACESH). Cette association intervient depuis une dizaine d’années dans la lutte contre toutes formes de discriminations basées sur le genre. Acesh travaille aussi dans le dans le domaine de la santé et fait des plaidoyers pour une meilleure prise en charge des personnes vivant avec le VIH. Au cours de ces trois dernières années, l’Acesh s’est largement impliquée dans des activités génératrices de revenus en faveur des populations clés, dans des zones vulnérables du pays, au niveau de la Vallée de l’Artibonite, par exemple.
L’organisation qu’il dirige incite les personnes infectées par le VIH/SIDA, à travers des séries de conférences (Groupes de supports), à suivre leur régime thérapeutique ponctué d’antirétroviraux (ARV). En outre, elles bénéficient de l’accompagnement nécessaire pour pouvoir garder l’espoir en un lendemain meilleur. « C’est la première fois que je déclare à la presse ma séropositivité, mais ça fait longtemps que je l’assume. J’ai présenté plusieurs conférences tant en Haïti qu’à l’extérieur, par exemple Washington où j’ai fait un plaidoyer pour la prise en charge intégrée des personnes vivant avec le VIH. J’encourage également la prise régulière et de manière continue des traitements ARV, lors de mes interventions autour de cette problématique», a-t-il ajouté, l’air rassurant.
Le défenseur des droits des minorités sexuelles et des PVVIH dit déplorer toutefois qu’à cause de la stigmatisation, de la discrimination et du manque d’information sur la maladie, certaines personnes infectées par le virus à vih ne se soucient guère de leur santé et celle de leur partenaire.
« En Haïti, les personnes atteintes du VIH ont tendance à attendre que leur état de santé se dégénère avant de décider d’aller voir un médecin pour un examen et l’ordonnance d’un traitement. Parfois, les nombreuses pressions, la stigmatisation et la discrimination dont elles font souvent l’objet, les plongent généralement dans des moments de grande dépression», regrette Gérald Marie Alfred. Aussi, l’activiste des droits humains a-t-il tristement révélé qu’il a perdu un ami en raison de cette situation.
«J’avais un ami qui commençait à se soigner normalement. Quand les gens ont su qu’il était séropositif, ils ont commencé à le critiquer. Il était tellement en proie à de vastes critiques, d’injures, de stigma et de discriminations, qu’au bout d’un moment il avait fini par craquer. Il a laissé tomber le traitement jusqu’à en perdre la vie », s’est-il désolé.
À partir d’une telle épreuve, conseille aux personnes infectées, qu’il leur faut continuer à suivre le traitement ARV tout en appliquant les conseils des médecins.
« Mon ami est mort il y a 8 ans de cela, mais il aurait pu être en vie aujourd’hui s’il n’avait pas lâché », dit-il songeur.
VIH : les jours ne sont plus comptés
Le pourcentage de prévalence du vih au niveau de la population haïtienne est d’environ 2%, selon le dernier rapport d’enquête sur la mortalité, la morbidité et l’utilisation des services, EMMUS VI, publié en 2018. Depuis le début de l’infection à la fin des années 70, à date, d’énormes efforts ont été déployés en matière de recherches, de prévention, de prise en charge et de traitement, à travers le monde. Et Haïti n’est pas en reste. Avec une prise scrupuleuse des doses d’ARV, au moins 95% des personnes vivant avec le VIH pourraient être indétectables, à l’horizon de 2030, selon les projections faites à travers les Objectifs de développement durable, ODD. Donc, le risque d’infecter d’autres personnes sera réduit considérablement.
« Comparativement au début de la maladie, nous sommes justement à l’orée des années 80, la science a fait beaucoup de progrès en ce sens. Le programme commun des Nations-Unies de lutte contre le Sida (ONUSIDA), grâce au projet de dépistage et de traitement 95/95, d’ici 2030 vise l’élimination complète du risque de transmission du VIH. Cela sous-entend que toutes les personnes vivant avec le VIH vont pouvoir rester indétectables », croit Gerald Marie Alfred.
Gérald Marie Alfred, membre de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres) se dit fier d’assumer sa sexualité. « Je suis un homosexuel masculin. Je suis un homme apparemment très viril, je n’ai aucun geste de féminité, donc si je n’explique pas à quelqu’un que je suis homosexuel, il va avoir du mal à le remarquer ».
L’activiste des droits humains en a profité pour critiquer le manque d’implication de l’État dans cette lutte. « On voit que les autorités ont souvent envie de toucher cette question combien sensible, mais à chaque fois, peut-être par peur des réactions des communautés rétrogrades et homophobes, elles font un aller-retour sur le sujet jugé tabou dans notre société».
Wooselande Isnardin