La coupole du restaurant de l’hôtel Le Manolo Inn est tombée par terre. Fissurée, elle a résisté au tremblement de terre du 14 août 2021. Emmanuel Pressoir, dit Manolo, 71 ans, est aussi indemne que cette structure de profil circulaire qui coiffait les piliers lui servant de socle.
« J’étais sous la coupole dans mon restaurant, assis à la table où j’attendais mon petit déjeuner quand un bruit me fit sursauter; j’ai constaté que les poteaux avaient tendance à se plier. Je me suis empressé de me jeter à genoux et de dire : Bondye padone peche m. Et j’ai couru. Je suis sorti. À peine 50 centimètres, la coupole est tombée derrière moi. N’était l’espace d’un cillement, je ne serais pas là avec vous aujourd’hui », se souvient Manolo, assis près du dôme avec son ami sénégalais, l’ingénieur Abdou Fall, un inconditionnel de l’hôtel de plage de la commune de Petite-Rivière dans le département des Nippes.
Manolo s’attache à sa coupole comme à la prunelle de ses yeux. Cette voûte sphérique est un objet d’art pour cet homme au visage hâlé par le soleil qui a bossé toute sa vie à Port-au-Prince avant de prendre ancrage, en parfait aventurier, dans la commune de Petite-Rivière de Nippes baignée par une mer aux mille teintes de bleu.
Depuis 2008, année où nous avons rencontré cet ancien journaliste de Le Nouvelliste, dans son petit paradis perdu, à l’occasion du festival de l’arbre véritable, la coupole était son havre au Manolo Inn. Il prend rituellement son petit déjeuner, son dîner et son souper sous cette voûte avec le chant de la mer comme toile de fond.
Drames intérieurs
Tout le drame réside dans l’amour qu’il témoigne pour cette portion de l’espace où il a accueilli tant de visiteurs. « Je reste dans l’hôtellerie et je vais me battre comme je peux pour réaménager la coupole », tranche Manolo, décidé.
Abdou Fall, un ingénieur sénégalais établi en Haïti, n’est pas de cet avis; il conseille plutôt à son ami Manolo de construire une choucoune, sorte de petit bâtiment typiquement local, léger et coiffé en toit de chaume. « Je suis pour la choucounette. J’avais déjà un problème avec cette coupole qui répercutait des échos », confie l’ingénieur. Pour l’hôtel, toute la structure doit-elle être mise par terre ? L’ingénieur Fall ne va pas jusque-là. « Ses bâtiments méritent d’être renforcés. Même s’ils résistent, on ne peut pas dire qu’ils en sont indemnes », s’inquiète ce client du Manolo Inn.
Les conseils d’Abdou Fall ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd. Manolo risque une parole empreinte de regret : « Pour la coupole, j’y tenais et j’y tiens jusqu’à présent. Mais j’écoute aussi les conseils de l’ingénieur. Du choc des idées jaillit la lumière. J’avais vu qu’on pouvait faire de grandes ouvertures et que la coupole en elle-même est solide ; mais lui, il me fait voir que les clients risquent d’avoir peur d’entrer là-dedans parce que c’est déjà renversé. On va réfléchir et voir ce qui est préférable à faire. »
Qu’est-ce qui est préférable, Manolo ? « Je reste dans l’hôtellerie et je vais me battre comme je peux pour réaménager la coupole ou une choucounette. On va examiner les questions. »
Après un séisme, surviennent des drames intérieurs. Les fissures sont là dans les répliques et attendent des réponses.
Manolo, septuagénaire, huit enfants, vit au ralenti. Les activités de son hôtel sont paralysées depuis que les bandits de Martissant ont sciemment décidé de couper le grand Sud du reste d’Haïti. Un tremblement de terre après onze ans d’intervalle est l’évènement auquel il n’était pas préparé à vivre. Trop de drames du pays ont affecté celui qui s’attendait à une éclaircie dans l’industrie touristique d’Haïti, de la sécurité publique, et encore une bouffée d’espoir pour redresser Le Manolo Inn.
L’homme a vécu deux séismes majeurs. En 2010, il a failli laisser sa peau, à Port-au-Prince, dans une maison où il faisait sa sieste. Onze ans plus tard, le destin réapparaît sous les mêmes traits sismiques, cette fois-ci dans les Nippes.
Quels signes décèlent Manolo dans la trame de ces deux événements meurtriers ?
« Deux fois sauvé ! Je me dis : pour Dieu, j’ai une mission à accomplir; je ne sais laquelle », philosophe le parfait aventurier des Nippes.
Claude Bernard Sérant
Source : Le Nouvelliste
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