La vie estudiantine de Marie Juliane David

Portrait

 

Marie Juliane David

« Quand j’étais une petite fille, je disais à mes parents : je deviendrai pédiatre pour mieux prendre soin des enfants. En ce temps-là, je jouais à la maîtresse d’école avec mes deux frères et ma sœur. Vous savez, les rêves d’enfance se concrétisent dans la réalité. Les rêves, qu’ils soient grands ou petits, possibles ou impossibles, déterminent le chemin de notre devenir et construisent notre réalité », raconte Marie Juliane David, 20 ans, étudiante en deuxième année de médecine à la Faculté de Médecine et de Pharmacie, École de Biologie médicale et d’Optométrie (FMP/EBM/EO) de l’Université d’État d’Haïti (UEH).

Longue chevelure noire crépue attachée en un chignon, jeans noir, T-shirt bleu, basket au pied, c’est dans cette tenue que la jeune femme nous reçoit chez elle en cet après-midi ensoleillé du mardi 27 juillet 2021.

La rencontre se déroule dans la fraicheur de l’ombre d’un grand manguier  au feuillage touffu dans la cour de sa maison. Assis sur une chaise basse, Marie Juliane étale les hauts et les bas de son quotidien au sein du campus des sciences de la santé dans ce grand bâtiment jaune et bleu de deux étages situé à la rue Oswald Durand.

Née le 4 février 2001 à Port-au-Prince, l’aînée d’une fratrie de quatre enfants a franchi les portes de l’UEH étant adolescente. À dix-sept ans, elle se retrouve dans un tronc commun pléthorique de l’université avec plus de deux cent étudiants.

À en croire les propos de sa maman, madame Barthélemy, une grande admiratrice de sa fille, Juliane ne l’a jamais déçue en ce qui a trait à ses études. « Depuis toute petite, ma fille rapporte toujours de bonnes notes à la maison donc je n’avais aucun doute qu’elle serait parmi les vingt premiers lauréats de ces 265 boursiers de l’Etat haïtien », dit fièrement sa maman qui assistait à la conversation.

L’intégration des bleus

 Les premiers jours de Juliane à la faculté se déroulent comme des journées de découverte, d’intégration et de familiarisation. L’ancienne élève du Collège Canapé-Vert de Madame Franck Paul, enthousiaste de rentrer à l’université, se sentait perdue. Elle venait de franchir une nouvelle étape de sa vie.

Les yeux adoucis de souvenirs, l’étudiante fait revivre l’un de ces moments inattendus de son existence : la cérémonie d’intégration des bleus. « Autant que je me souvienne, les étudiants ont amené les bleus dans une chambre noire. Là, il y avait des bougies allumées, des figures tracées sur le sol. J’ai découvert ébahi des formes qui m’étaient jusque-là inconnues. Longtemps après j’apprendrai qu’il s’agissait de vèvè. La pièce vibrait d’une musique apparentée au rituel vaudou. Ce rythme avait pour vocation de nous faire entrer dans la religion populaire. En deux temps trois mouvements, un jeune plus décidé que les autres a renversé une substance sur ma tête.  C’était gluant. Ça puait. J’avais envie de vomir. J’étais la risée des aînés. Mon calvaire ne faisait que commencer. D’autres étudiants m’ont bombardé de farine. J’étais enfarinée comme un poisson prêt à la cuisson. »

Le quotidien au campus des sciences de la santé

Au campus des sciences de la santé, les journées de Marie Juliane se résume principalement à l’apprentissage de l’anatomie des organes et du corps, l’embryologie, l’histologie, la biophysique, la biochimie, la physiologie etc.

Marie Juliane adore les cours pratiques comme la physiologie, les stages au sein de l’Hôpital de l’université d’État d’Haïti (HUEH) ou à l’Hôpital militaire. « Les cours pratiques en général sont agréables. L’apprentissage est plus facile. C’est bien de prendre contact avec ce qu’on étudie dans les livres. La médecine c’est la pratique », déclare Marie Juliane.

La Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP) n’est pas seulement un lieu pour étudier ses leçons. Le travail en équipe fait partie de la culture de cette faculté. Marie Juliane aime bien y prendre part . « À l’université, tous les étudiants n’ont pas la même capacité. Travailler en groupe est un moyen de mettre en commun nos capacités, d’apprendre les uns des autres et de partager nos connaissances.  Certaines matières comme l’anatomie sont difficiles à appréhender. Étudier en groupe est l’un des moyens permettant de pallier ce problème. Parfois il y a des désaccords entre nous, c’est normal. On ne peut pas être d’accord avec tout. Moi, j’ai la chance de faire partie de groupe qui partagent une large amitié comme CPER God’s daughter. Nous nous réunissons très souvent. Nous discutons ensemble sur beaucoup de sujets même ceux dits tabous. Nous rigolons également », avoue l’étudiante aux grands yeux noirs.

Entreprendre des études en médecine en Haïti n’a jamais été facile. Le cursus est extrêmement long , minimum sept ans. Les études sont coûteuses ,exigeantes et absorbantes. Avoir une bourse n’est pas suffisant pour rester à l’UEH. Il faut être en mesure de la garder. « L’UEH est très stricte. Si l’étudiant ne travaille pas il y’a de forte chance qu’il perde sa bourse.  Depuis que j’ai entamé des études en médecine, je connais beaucoup de nuits blanches. Je me prive de distractions. Le stress est mon lot quotidien », révèle l’étudiante.

 En dehors de ses études universitaires, Marie Juliane taquine la muse. Elle l’auteure d’un recueil de poèmes en deux tomes « Ma Muse du Soir » publié aux Éditions Canapé-Vert de Madame Franck Paul. Dans le cadre de la 27ème édition de Livres en folie, sous la houlette professeur de Claude Bernard Sérant, elle a pu rédiger une dizaine d’articles.

Les crises sociopolitiques du pays affectent Marie Juliane David. Elle raconte qu’à plusieurs reprises sa faculté a été la cible des manifestants. Pendant combien d’années Haïti stagnera dans cet état calamiteux qui poussent les meilleurs enfants du pays à prendre la porte de la sortie pour des cieux plus cléments ?

« Après toutes ces années d’études et de sacrifices, serai-je en mesure de rester dans le pays pour exercer mon métier ? », se demande la jeune étudiante face à la situation dégradante du pays.

Wooselande Isnardin

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