Encore un sujet tabou en Haïti, le viol. Par surprise, violemment, par ruse, un homme arrive à pénétrer sexuellement une femme sans son consentement. Ce crime, ce mal, qui ronge la société haïtienne pèse sur les victimes. Il les laboure, il les mine de l’intérieur. Et pourtant le regard porté sur le viol n’a pas toute son intensité face à ce fléau déshonorant qui tend à un rythme vertigineux à un moment où la vie de l’Haïtien est tout à fait banalisée.
Vous avez dit viol ! Ce mot porte la marque du fer rouge de la forge pour celle qui a subi cet outrage. La honte que peuvent ressentir les victimes, la stigmatisation qu’elles peuvent subir, la peur de représailles de la part de leurs agresseurs. Autant de facteurs qui enferment les victimes dans le silence.
Le dernier rapport de l’Enquête sur la mortalité, la morbidité et l’utilisation des services (EMMUS VI, publié en 2018, fait état de 28 % de femmes de 15 à 49 ans ayant été victimes de violences physiques. Ce document révèle tristement que plus d’une femme sur dix ont été victimes de violence sexuelle à un moment de leur vie.
L’histoire de Matoune Blanchard (Nom d’emprunt), une jeune femme célibataire de 28 ans, est un exemple poignant qui montre à quel point ce phénomène est monnaie courante dans un pays où rien n’est véritablement fait pour pouvoir le combattre.
Nous sommes le 30 octobre 2020. Il est 10 heures du soir. Les rues principales de Delmas, cette commune située au cœur de la capitale haïtienne, sont plongées dans le noir. Pas une ampoule électrique les rues sombres de la ville. La violence, le kidnapping, devenus le lot quotidien de l’Haïtien, labourent les entrailles. Cœurs endoloris, le pays plonge dans une phase ténébreuse de son existence. La population est angoissée. Elle vit, au quotidien, l’oreille collée à son poste de radio. Les nouvelles relatent qu’Evelyne Sincère, une jeune écolière, la veille, a été retrouvée morte sur un tas d’immondices, à Delmas 24. Elle a été, comme tant d’autres jeunes filles, enlevée, séquestrée, violée, et, tuée par ses ravisseurs. Le sujet est brûlant d’actualité, il est sur toutes les lèvres. Qui sera la prochaine cible des bandits qui continuent de défier les autorités en place, pour semer le désarroi au sein des familles haïtiennes?
Matoune, dans le viseur des violeurs
Matoune travaille dans un supermarché situé non loin de Delmas 33. Ce soir-là, la jeune femme, accompagnée de deux autres collègues de travail, attend désespérément une camionnette pour l’emmener chez elle, à Pétion-Ville. Il se fait tard. Une voiture privée, comme par enchantement, ralentit auprès des trois jeunes femmes. Le chauffeur propose aussitôt de les conduire à leur destination. Réticentes, perplexes, elles finissent par accepter l’offre.
Matoune n’oubliera jamais ce soir-là. À une émission thématique de santé réalisée par le Réseau haïtien de journalistes de la santé (RHJS) en partenariat avec l’Organisation de développement et de lutte contre la pauvreté (ODELPA), elle se livre, la gorge nouée par l’émotion. « Le monsieur se faisait passer pour un bon samaritain. Au début, il nous a rassurées de ne pas avoir peur. Il se présente comme une personne de bien, un honnête citoyen, un gentleman », raconte Matoune à l’émission BYENNÈT (Bien-être), fin décembre 2020.
Cette émission financée par l’Université Georgetown et CHARESS, diffusée sur une quinzaine de médias à travers le pays, entre dans les foyers. Le témoignage de Matoune fait de l’effet sur les auditeurs.
Assise tranquillement dans l’un des sièges réservés aux invités, dans le petit studio rectangulaire du RHJS, Matoune ne peut pas retenir ses larmes lorsqu’elle doit, pour la première fois, revenir sur les circonstances entourant ce drame.
Une fois qu’elle a pris place à l’intérieur du véhicule, l’homme qui était à bord verrouille complètement les portières et gagne en trombe une autre direction. Le doute commence alors à travailler l’esprit de Matoune.
« Le monsieur nous a amené vers une destination inconnue. Comme nous étions au bord de la mer, je peux à peine penser qu’il s’agissait d’un espace situé à Titanyen ou Cabaret. Je ne sais pas trop », relate la jeune femme.
Dans ce lieu inconnu et cynique, les choses vont se passer autrement. Le bourreau de Matoune et de ses compagnes de route fait appel à un certain Périclès, un autre violeur. Sur ces entrefaites, il attrape la jeune femme par la gorge et l’amène à l’intérieur d’une vieille maison délabrée et abandonnée.
En un clin d’œil, les rêves, l’espoir de la jeune femme, s’envolent comme dans un tourbillon de poussière. Elle se retrouve seule face à son destin et un psychopathe. « Arme aux poings, Périclès m’insinue l’ordre d’enlever mes vêtements. Comme je ne voulais pas m’en défaire, il m’a roué de coups. Il me gifle, il me jette sur le sol, ôte mes vêtements et, enfin, il m’a violé. Il m’a pénétré pendant plus d’une heure dans mon sexe et dans mon anus. A chaque fois que je hurle, il me dit : tais-toi ou je te tue», explique la victime, décontenancée.
Après cette souillure, cette offense, le violeur a poussé Matoune dehors. Il l’a balancé comme un vieil objet gâté, pourri, détérioré, après l’avoir dépouillé de son sac. « Ne sachant quoi faire, j’ai dû me réfugier sous un arbre. J’ai passé le reste de la nuit, perdue, honteuse dans cet endroit. J’essayais d’imaginer ce qui s’était passé à mes deux autres collègues. J’ai eu très peur et très mal. Je ne voyais pas avec quelle tête j’allais rentrer à la maison. C’était un véritable cauchemar pour moi », marmonne la jeune femme secouée de sanglots.
Le lendemain matin, Matoune s’est armée d’un peu de courage et a pris la route. Traumatisée, désorientée, la jeune femme refuse catégoriquement de rentrer chez elle par peur d’être stigmatisée. Dans sa tête, elle se fait l’idée que tout le monde savait déjà ce qui lui était arrivé.
Matoune ira donc se réfugier chez une amie, à Tabarre. Cette dernière l’emmène dans un centre de prise en charge de personnes victimes de viol, pour les soins appropriés. En ce qui a trait au suivi judiciaire, aucune plainte contre le violeur n’a été déposée.
« J’étais tellement traumatisée que j’ai voulu mettre un terme à ma vie. Dieu merci, dans le centre où j’ai été, on m’a référé à une psychologue qui m’a un peu remonté le moral et m’a permis peu à peu de reprendre confiance en moi-même.», témoigne la jeune femme, dans un ouf de soulagement.
L’histoire douloureuse de Matoune, cette jeune femme célibataire de 28 ans, battue, violée en pleine nuit, dans cet endroit inconnu n’est pas différente de nombre de femmes, de filles ou d’enfants victimes de ce désastre (le viol), un peu partout à travers le pays.
Louiny FONTAL
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