Environ 40 ans après la première mise en évidence médicale du syndrome d’immunodéficience acquise (sida) par le chercheur français, Luc Montagnier, le sida s’est transformé en l’une des maladies les plus dévastatrices de toute l’histoire de l’humanité.
À la fin de 2019, selon les estimations fournies par le Programme commun de l’Organisation des Nations Unies sur le VIH et le Sida (ONUSIDA) 38 millions de personnes dans le monde vivaient avec le VIH, dont 1.8 millions d’enfants. Pour la seule année 2019, selon l’ONUSIDA, 1.7 millions de personnes ont été nouvellement infectées. Ce nouveau record nous a poussés encore loin des moins de 500 000 nouveaux cas, but fixé pour 2020 par l’agence onusienne. Ces données pointent une lenteur dans les progrès accomplis depuis, en matière de prévention et de lutte contre la stigmatisation et la discrimination dont sont victimes les personnes vivant avec le VIH. La stigmatisation et la discrimination restent à ce jour un obstacle majeur à la prévention, au dépistage, à la prise en charge et au traitement de l’infection à VIH, surtout chez les minorités sexuelles.
Haïti, l’une des premières victimes de ce phénomène (Stigma-discrimination) lié au vih/sida
Alors que la Déclaration universelle des Droits de la personne reconnait à tout individu le droit à la santé et à la vie, en Haïti, les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) sont parfois victimes de discrimination ou de stigmatisation. Ces facteurs peuvent avoir un impact négatif sur les taux de dépistage du VIH et la capacité des personnes atteintes de rechercher un traitement, des soins et du soutien.
On se rappelle d’ailleurs du fameux « 4 H », dont l’un d’entre eux a directement pointé du doigt les Haïtiens comme porteurs de ce virus. Dans ce groupe figuraient également les homosexuels, les hémophiles et les héroïnomanes, tels que décrits dans un article de Mike Gottlieb, publié au début des années 1981, dans le (Morbidity Mortality Weekly Report). Comme conséquences directes: Haïti qui était très prospère sur le plan touristique avait vu le nombre de ses visiteurs réduit de façon catastrophique. Il faut aussi remarquer que dans des films occidentaux et aussi des spectacles dans les pays occidentaux Haïti était traité comme l’agent par lequel le malheur était arrivé dans le monde.
Manifestations de la stigmatisation
La stigmatisation est un phénomène social très commun, basé sur la discrimination d’un individu ou d’un sous-groupe d’individus par un groupe dominant ou majoritaire. Discuté habituellement dans le contexte spécifique de la psychiatrie, ce phénomène existe aussi dans d’autres domaines de la médecine. Il touche non seulement les patients mais également leurs proches, leurs enfants, et parfois les soignants qui s’en occupent. De plus, il nuit à l’implantation de stratégies de prévention, induit des réactions dépressives, une perte d’estime de soi et une détérioration de la qualité de vie chez les patients. Enfin, il freine l’intérêt des scientifiques et restreint les fonds qui sont alloués à la recherche dans les domaines qui en font l’objet. Il est donc important d’en comprendre les mécanismes afin de mieux le combattre.
Etymologiquement, la stigmatisation consiste en l’action de « marquer de manière définitive le corps de quelqu’un afin de lui donner une cicatrice distinctive ». Dans son utilisation contemporaine, ce terme décrit la mise à l’écart d’une personne pour ses différences qui sont considérées comme contraires aux normes de la société. Ainsi, la stigmatisation ne se limite pas aux seuls champs de la médecine. Ervin et Goffman identifient trois domaines de stigmatisation : le premier vise les personnes ayant une manifestation physique ou des déformations externes visibles (cicatrices, infirmités physiques, obésité) ; le deuxième, les personnes présentant des différences au niveau de leurs comportements (troubles mentaux, toxicomanie, alcoolisme, antécédents criminels) ; le troisième, les personnes de nationalité, d’ethnie, de religion ou d’appartenance politique considérées comme étant hors des normes sociales locales.
D’où est né ce phénomène?
Erving Goffman, dans son ouvrage Stigma, publié en 1963, indique que la stigmatisation est née de préjugés qui tendent à discréditer ou à rejeter une personne ou un groupe parce qu’ils sont perçus comme étant différents de soi ou de la norme. Lorsque les gens agissent selon leurs préjugés, la stigmatisation se transforme en discrimination. La stigmatisation liée au VIH, elle, résulte principalement de la peur et de l’ignorance à l’égard de la maladie et/ou de l’hostilité et des préjugés existants à l’endroit des groupes les plus touchés par le virus. On parle de discrimination liée au VIH lorsqu’une personne est traitée injustement parce qu’elle a le VIH ou est soupçonnée de l’avoir. La discrimination envers les personnes vivant avec le VIH s’étend jusqu’aux populations à risque de contracter le virus. C’est le cas, par exemple, des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes et les personnes qui s’injectent des drogues.
Les conséquences de la stigmatisation
La stigmatisation peut donner lieu à l’isolement et nuire ainsi à la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH. La stigmatisation et la discrimination risquent aussi de rendre les personnes à risque moins disposées à se faire tester et d’empêcher les personnes déjà atteintes de rechercher un traitement, des soins et du soutien. Si les personnes infectées ou affectées par le VIH sont maltraitées ou blâmées pour leur situation, l’épidémie devient clandestine, ce qui pourrait en fait créer des conditions idéales pour la propagation continue du virus.
VIH, exclusions et luttes contre les discriminations
Pierre LASCOUMES, dans un article intitulé Marginalité et exclusion sociales, publié en 1994, dans le numéro 22 de la revue scientifique, “Les ERUDITS” tente de rapprocher la discrimination à l’exclusion. Pour lui, ces deux concepts sont intimement liés. Dans le cas du VIH sida, le chercheur en sociologie identifie trois grandes formes de l’épidémie et les pratiques d’exclusion ou de discrimination qui leur sont associées.
I. Un premier grand type d’exclusion se manifeste dans l’accès aux soins: précarité des conditions de vie et absence de ressources écartent des groupes importants de personnes des systèmes de soins. Cela doit s’entendre de deux façons: tout d’abord, absence de suivi médical et de traitement prophylactique; ensuite, difficultés majeures d’accès à l’hôpital. Il est donc courant de constater dans ce cas précis que l’hospitalisation n’advienne qu’en situation d’urgence lorsque l’État physique de la patiente est très dégradé.
II. Un deuxième grand type d’exclusion concerne l’accès aux mesures de santé publique de type préventif; là également apparaît en premier lieu le problème de la précarité du statut social qui s’oppose à la réception et à l’intégration des messages de prévention. Cette précarité se présente sous deux formes principales : la forme économique ou la forme sociale, qui, parfois, se chevauchent. Tout d’abord, quand l’urgence est de survivre matériellement, le «souci de soi» se trouve étouffé par toutes autres priorités et les attitudes de réduction des risques ne peuvent trouver vraiment leur place dans les pratiques.
III. Troisième forme d’exclusion, plus diffuse encore mais aux effets tout aussi dévastateurs: celle qui résulte des multiples angoisses, en général plus fantasmatiques qu’objectivées, provoquées par l’épidémie. On est ici confronté à la gestion sociale de l’irrationnel dont les discriminations sont les principaux symptômes. Ce type d’exclusion vient souvent s’ajouter aux deux premières.
Aussi, la discrimination suppose-t-elle une distinction et un élément arbitraire qui peut prendre la forme extrême d’un traitement dégradant. Le rejet des structures scolaires d’enfants séropositifs, le refus, après un divorce, du droit de visite des enfants pour le parent infecté, le refus de soins dentaires ou hospitaliers, la mise à l’écart ou le licenciement de salariés séropositifs constituent des exemples de pratiques courantes. Qu’est-ce qu’il en résulte ? sur le plan social, un non-respect des droits de la personne en question. D’où l’intérêt d’établir ce rapprochement, ce lien de causalité entre le VIH/SIDA et les droits de la personne.
En quoi les droits de la personne sont-ils concernés par le VIH/Sida?
L’Article 3 de la Déclaration universelle des Droits de la personne stipule : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » et l’Article 25 dispose que « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.».
Parallèlement, le non-respect des droits de la personne contribue à propager la maladie et à en exacerber l’incidence, dans le même temps que le VIH/Sida influe négativement sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de ses droits.
En Haïti, quelle est la réalité ?
Alors que la réponse nationale à l’épidémie du VIH ne cesse de progresser, les personnes infectées et affectées continuent d’être l’objet de diverses formes de stigmatisation et de discrimination tant dans la communauté́ que dans les structures de soins. L’enquête sur la mortalité, la morbidité et l’utilisation des services (EMMUS VI) publiée en 2018, fait ressortir l’ampleur de la stigmatisation et la discrimination sur les personnes vivant avec le VIH dans le pays.
Ce phénomène, selon le rapport du MSPP, se manifeste particulièrement en milieu hospitalier et impacte négativement l’accès à la prise en charge et au traitement. Les personnes infectées sont souvent perçues comme ayant des comportements méprisés par la société, tels que les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH ou HARSAH).
La réalité chez ces groupes dits à risques
Ethnographiquement, Haïti se rapproche de plusieurs pays du continent africain où des études ont été menées sur cette problématique. L’homosexualité, par exemple, y est perçue comme une menace à combattre ; car, dangereuse : pour l’ordre social, religieux, moral et démographique. Par conséquent, cette menace entrave les étapes de soins comprenant la prévention, le dépistage, l’enrôlement aux soins et l’adhésion thérapeutique.
Les résultats d’une enquête menée en Haïti par le Programme des Nations unies pour le VIH (ONUSIDA) et publiée en 2018, estiment à 12,9 %, la prévalence de cette infection chez les HSH, très en dessus par rapport à la prévalence nationale du pays qui est chiffrée à 2,1%.
En cause, de nombreux HARSAH développent aussi des relations hétérosexuelles. Ce comportement sert de pont pour la transmission du VIH de cette communauté vers la population générale. De son côté, la population homosexuelle s’est vu exposée à un plus grand risque d’infection au VIH à cause de certains facteurs personnels et sociaux : multipartenariat sexuel et relations à court terme, faible utilisation de préservatifs, conception erronée du sexe anal, etc. Bien que les HARSAH expriment un besoin de soutien, ils craignent souvent d’être rejetés en dévoilant leur orientation sexuelle.
VIH, comment faire en sorte que les droits des patients soient respectés…
Du début de l’infection à VIH, il y a plus de 40 ans, à nos jours, beaucoup d’efforts ont été consentis. C’est aussi sur cette base qu’on ne parle pas de SIDA tant que le patient n’est pas décédé suite à des complications liées aux infections opportunistes.
En Haïti, pour les personnes sous médicaments antirétroviraux (ARV), l’année 2020 a été difficile pour les différents programmes du MSPP. Toutefois l’offre de services n’a pas diminué selon le rapport du Programme national de lutte contre le sida (PNLS). Dans le dernier bulletin du programme, on y lit : « Il existe sur le territoire national 179 centres de dépistage du VIH, 143 centres offrant le service de prévention de la transmission de la mère à l’enfant et 165 centres de prise en charge aux ARV».
D’après les enquêtes EMMUS, sérosentinelle du MSPP et IBBS, la prévalence du VIH dans la population haïtienne des 15 à 49 ans est de 2%, soit 2.3% pour les femmes contre 1.6% pour les hommes pour un total de 160 000 personnes. «Les plus fortes prévalences ont été signalées chez les femmes enceintes (3.2%); les professionnels de sexe (8.7%) et les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (12.9%).»
Les données analysées en 2019 permettant de faire des estimations en 2020 rapportent que « sur les 160 000 PVVIH, le nombre de décès est estimé à 2 700.»
Pour les enfants de moins de 15 ans, environ 8 200 vivent avec le VIH. La couverture en ARV de ces enfants est estimée à 45%. Partant du mois d’octobre 2019 à septembre 2020, 577 000 personnes ont été testées pour le VIH, 18 645 se sont révélées positives. Parmi cette catégorie, 87% des femmes enceintes vivant avec le VIH sont placées sous ARV.
Sur le plan préventif, des programmes qui tendent vers l’élimination de l’infection à VIH de la mère infectée à son futur bébé (PTME) ; le traitement préventif chez les personnes séronégatives à risques (PrEP) ; la Prophylaxie post-exposition après un viol ou après une éventuelle exposition au VIH (PeP), ne sont plus à démontrer. Cependant, sans une large campagne de lutte contre la stigmatisation et la discrimination dont sont victimes les PVVIHs, en particulier, les minorités sexuelles, l’objectif 3.3 des ODD qui vise à mettre entre autres fin à l’épidémie de VIH d’ici à 2030, ne sera malheureusement pas atteint.
Louiny FONTAL,
journaliste, secrétaire exécutif du Réseau haïtien de journalistes de la santé (RHJS)