Par Dr Erold Joseph
« A quoi cela sert-il de traiter les personnes malades pour les renvoyer vivre dans les mêmes conditions qui les ont rendues malades? »
Monique Begin, ex Ministre de la Santé et des Services Sociaux, Canada.
Aborder les liens entre santé et pauvreté revient inéluctablement à soulever le problème des Inégalités de Santé. Ces dernières peuvent être définies comme des « différences de santé entre des individus, ou mieux, entre des groupes d’individus ». Comme ces écarts s’avèrent, en majeure partie, d’origine sociale et économique, on parle d’ « Inégalités Sociales de Santé » (ISS). Cette relation entre santé et niveau socio-économique, perçue depuis l’Antiquité, était déjà abordée par Hippocrate, le père de la médecine occidentale. Jusqu’au Moyen Age, peu de données étaient pourtant disponibles sur la question. Il faut attendre le XVIIème siècle pour que l’on notifie clairement l’influence de la hiérarchie sociale sur la mortalité et la morbidité. L’apparition de l’épidémiologie moderne au XIXème siècle, puis un siècle plus tard, du fameux « Rapport Lalonde » avec sa notion de « déterminants sociaux de la santé » contribua à renforcer cette notion. Néanmoins, de grands naturalistes et philosophes français comme Buffon dans son “Histoire Naturelle” ou Jean-Jacques Rousseau dans son “Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes” croyaient que la santé et la durée de vie étaient les mêmes pour tous et qu’elles étaient déterminées par la nature.
SANTÉ ET PAUVRETÉ
La santé varie en raison directe du niveau socioéconomique. Autrement dit, aisance et bonne santé vont généralement de pair. Il en est de même pour pauvreté et maladie. Plus vous êtes riche, plus vous avez une meilleure santé et vivez longtemps. En temps de famine, d’épidémie, de crise économique et même en période normale, ce sont toujours les pauvres qui sont les plus frappés par la maladie et par la mort. L’industrialisation survenue aux XVIIIème et XIXème siècles en Europe et en Amérique du Nord a, certes, amélioré les conditions de vie de la population et donc, leur santé. Mais, elle a parallèlement creusé les inégalités entre les groupes sociaux. Aujourd’hui encore, les progrès considérables accomplis dans le domaine de la santé, ou plus précisément de la découverte biomédicale, profitent essentiellement aux pays du Nord et à l’intérieur de ceux-ci, aux couches favorisées. L’écart n’a donc cessé de progresser, en matière de santé, entre pays développés et pays « dits en voie de développement » et, à l’intérieur de ces nations, entre classes aisées et défavorisées. Le néolibéralisme débridé, “l’évangile du marché”, pour reprendre l’expression du prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, avec leur cortège de chômage et de misère, n’ont fait que creuser le fossé de l’inégalité en général, celui de la santé en particulier.
INDICATEURS DE SANTÉ ET INDICATEURS SOCIOÉCONOMIQUES : UN PARALLÉLISME ÉTROIT
L’importance de l’environnement social et économique sur la santé est apparue de plus en plus grande avec l’essor de l’épidémiologie, science des statistiques sanitaires. Il existe, en effet, un parallélisme étroit entre indicateurs socioéconomiques et sanitaires.
Le Produit Intérieur Brut (PIB), indicateur économique par excellence, mesure la somme des richesses produites par un pays en l’espace d’une année. Divisé par le nombre d’habitants, il donne une moyenne : le PIB par habitant. Ces deux indicateurs traduiraient le niveau global de développement d’un pays. Plus un pays est riche, plus ces deux valeurs sont élevées. Par contre, pour apprécier le niveau de santé d’une population, l’on utilise essentiellement deux paramètres : l’espérance de vie à la naissance et le taux de mortalité infantile. Le premier traduit le nombre moyen d’années que peut espérer vivre un membre d’une population donnée. Le second mesure spécifiquement la proportion d’enfants nés vivants qui meurent avant leur premier anniversaire. Les deux sont des mesures de longévité. Il existe un troisième indicateur : l’espérance de vie en bonne santé qui évalue le nombre d’années de vie sans incapacité ou infirmité dans une population donnée. Il apprécie la qualité de vie.
Les observations montrent de manière irréfutable qu’un PIB général (ou par habitant) élevé s’associe généralement à une espérance de vie à la naissance élevée, un taux de mortalité infantile bas, et une bonne espérance de vie en santé Autrement dit, les gens meurent beaucoup plus tard dans les pays dits développés . Les enfants décèdent très peu en bas âge, notamment avant un an. Par ailleurs, on y a beaucoup plus de chance de vivre sans maladie, infirmité ou incapacité.C’est systématiquement l’inverse pour les pays dits « en voie de développement ». Il s’agit là d’une inégalité entre les nations. Toutefois, ces constatations d’ordre global représentent l’arbre qui cache la forêt. En effet, les chiffres observés dans les pays du Nord et du Sud peuvent ne se rapporter en fait qu’à une petite frange aisée de la société, obstruant la réalité du plus grand nombre. Pour mettre en évidence ces inégalités « intra-pays », l’on observe le niveau de santé dans certaines tranches spécifiques de la population, lesquelles partagent des paramètres socioéconomiques similaires. Ainsi, dans les enquêtes épidémiologiques, l’on croise le niveau de santé des gens avec leur catégorie professionnelle, leur niveau de revenu ou d’études, leur milieu de résidence, leur sexe. etc. Ce qui est vrai au niveau mondial entre les nations l’est également à l’intérieur de ces dernières. Plus vous vous situez à un niveau élevé dans la hiérarchie sociale, plus vous êtes en meilleure santé, et vice-versa. Dans n’importe quel pays donné, les pauvres meurent davantage et plus tôt que les riches, et fort souvent peu de temps après leur naissance.. Par ailleurs, ils tombent plus souvent malades et ont moins accès aux soins. Ce parallélisme étroit entre hiérarchie sociale et niveau de santé a été baptisé « gradient social de santé ». Le tableau suivant met en relation le niveau économique de quelques pays (évalué à travers leur PIB par habitant) avec l’état de santé de leur population respective (vu à travers l’espérance de vie à la naissance et le taux de mortalité infantile). Ce dernier est exprimé en nombre de décès avant un an pour chaque 1000 bébés nés vivants.
France | Canada | Haiti | République Dominicaine | Mali | |
PIB par habitant en 2019 (US$) | 40.493,9 | 46.194,7 | 754,6 | 8.282,1 | 890,7 |
Espérance de vie à la naissance en 2018 | 83 ans | 82 ans | 64 ans | 74 ans | 59 ans |
Taux de mortalité infantile en 2019 | 4 décès pour 1000 naissances vivantes | 4 décès pour 1000 naissances vivantes | 48 pour 1000 naissances vivantes | 24 décès pour 1000 naissances vivantes | 60 pour 1000 naissances vivantes |
Indicateurs socioéconomiques et sanitaires (2018 et 2019) Source : Banque Mondiale
Ceci clôt la première partie. Dans la deuxième, nous montrerons comment la pauvreté engendre la maladie et vice-versa. Nous produirons une réflexion sur la pauvreté, l’inégalité sociale et l’équité tout en proposant des pistes de solution. Enfin, nous terminerons par une petite bibliographie. Il s’agit d’un chapitre de notre prochain ouvrage « Comprendre la santé autrement » lequel paraitra vers mai 2021.
Dr Erold Joseph
e-mails : eroldjoseph2002@yahoo.fr et eroldjoseph2002@gmail.com