Quand économie, santé et éducation deviennent antinomiques

 

     Dr Erold Joseph

« La plupart des écoles se préoccupent seulement de dispenser des connaissances. Elles ne se soucient absolument pas de transformer l’homme et sa vie quotidienne. »

JidduKrishnamurti

 

Avec 20 millions de cas confirmés et près d’un million de décès dans le monde, la pandémie de SARS-Cov 2 représente la catastrophe majeure du XXIe siècle. Siècle déjà marqué par la recrudescence de la  violence et du  terrorisme,  la destruction systématique de l’environnement, le  creusement du fossé des inégalités sociales entre les nations et à l’intérieur des nations et, par-dessus tout, la détresse psychologique même chez les nantis et qui est  due à l’absence de repère existentiel. Le capitalisme sauvage, inhumain, « l’évangile du marché », pour reprendre les termes du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, n’a pas tenu ses promesses. En face, une gauche obsolète, experte  en slogans, sans dialectique, incapable de réaliser que la position des pièces sur l’échiquier a changé et qui continue obstinément d’utiliser les mêmes stratégies, les mêmes tactiques,voire de répéter  les mêmes coups. Sans aucun souci de l’intérêt commun…

Les leçons d’une crise

L’une des grandes leçons de cette crise socio-sanitaire mondiale, c’est qu’il n’existe  point de certitude absolue et définitive dans aucun domaine de la vie, ce qui doit induire à la prudence et à l’humilité. Les théories et paradigmes évoluent constamment,  au fur et à mesure de l’apparition de faits nouveaux et d’interprétations nouvelles, ces dernières pouvant s’avérer  erronées plus tard. Ceci porte certes un coup dur au prestige ou à l’arrogance des scientifiques, des médecins plus particulièrement qui souvent ont développé le « complexe de Dieu ». Quant aux scientistes, ces «  religieux de la science », ils devraient se rendre compte que cette dernière explique à peine 30% de ce qui se passe dans l’univers. N’oublions jamais que la terre a été d’abord plate, puis ronde, que le soleil a tourné longtemps autour d’elle. Ensuite, elle a tourné autour du soleil et entraîné la mort de Galilée. Par ailleurs, les données de la physique quantique montrent que la matière, d’apparence  solide, est constituée en fait, contre toute évidence, à 99,99% de vide et d’énergie, ce que soutient le bouddhisme depuis cinq siècles avant Jésus-Christ.Toutes ces données n’ont jamais été intégrées par la science moderne (et la médecine) qui reste  religieusement accrochée à la vieille physique newtonienne pourtant longtemps dépassée.

La deuxième leçon apprise, c’est que la médecine, l’industrie pharmaceutique, les grandes institutions et revues internationales de la santé, ne visent pas forcément l’intérêt et le  bien-être collectifs mais souvent  le profit, dans toute sa nudité. Financées, dominées par des groupes financiers et politiques  puissants, elles ont  promu, de manière éhontée, de nouvelles molécules totalement inefficaces mais coûteuses. Parallèlement, elles se sont prises  aux anciennes, plus accessibles, moins chères, devenues subitement ultra-dangereuses, sans prendre la peine de les évaluer objectivement. Au nom de l’orthodoxie scientifique, elles ont voulu donner aux premières un temps de validation, ce au détriment de la vie. Jamais,  dans l’histoire de la médecine et de la santé publique, le délit d’initié n’a été aussi flagrant . N’étaient-ce les centaines de milliers de morts, l’on aurait dit : « Covid 19, je t’aime et te remercie pour nous avoir ouvert les yeux… ».

La troisième grande leçon de cette pandémie, c’est que rien n’est isolé. Tout est interrelié, malgré l’illusion de la séparation, de la spécialisation. Les différents secteurs de la vie  s’influencent les uns les autres, voire s’interpénètrent. La santé et le bien-être exigent une prise en compte, une harmonisation, des différentes dimensions de l’existence humaine : le physique, le psychologique, le social et le spirituel. Tâche d’autant plus ardue qu’elles apparaissent aujourd’hui antinomiques. Comment, en effet, concilier le besoin d’affection, de relation humaine avec cette froide exigence de distanciation physique, voire sociale,  au sein même de la famille ? Comment encourager  le port continuel du masque, cet outil médiéval, inconfortable, certes efficace, mais antiphysiologique ? Faut-il utiliser la force ou la persuasion, ou les deux à la fois, pour contraindre au respect des mesures préventives ? Dans la dernière option, à quel dosage ? Quel est l’impact psychologique du confinement domiciliaire  vingt-deux heures sur vingt-quatre, sans relation ni distraction sociale? Comment respecter le principe sacro-saint de la quarantaine tout en rouvrant l’aéroport international, ce qui favorise inévitablement l’entrée de cas importés, avec peut-être l’introduction de souches plus virulentes dans un pays qui, jusque-là, paraît épargné (moins de 100 décès à cette date) ? Par ailleurs, peut-on choisir l’autarcie suicidaire dans un pays totalement dépendant  de l’extérieur et non productif? Entre mourir de Covid 19 et périr de famine ou d’autres maladies ou carences, quelle option ? Perdre une année scolaire ou universitaire déjà largement amputée ou risquer une « nouvelle vague » ? Si, au moins, nous étions sûrs d’avoir déjà atteint le pic de l’épidémie…. Concrètement, comment prendre en compte simultanément l’économique, l’éducatif et le sanitaire, face à tant d’incertitudes ? Autant de dilemmes. Et pourtant, il faut décider, prendre le risque, se jeter à l’eau, tout en sachant que rien ne vaut la vie, la santé, le bien-être. Ne pas choisir, c’est encore choisir. C’est choisir le non-choix qui est le pire des choix.

Une réouverture progressive

Le Ministère de l’Éducation nationale  et de la Formation professionnelle a fixé la réouverture des classes et de l’université au 10 août. La reprise sera progressive. Pour les écoles, elle concernera, dans un premier temps, les classes des examens d’État, à savoir la 9e année fondamentale et le Secondaire 4 (Philo). Les autres niveaux, à l’exception du préscolaire, devraient recommencer le 17 août. Le 9 octobre marquera la fin des cours en vue de boucler l’année académique 2019-2020 grandement perturbée par les turbulences sociopolitiques, puis sanitaires. La  période officielle de contrôle pour la 9e année fondamentale et la philo (examens d’État) s’étendra du 12 au 22 octobre. Pour les autres classes, une évaluation interne allégée permettrait de passer au niveau supérieur. Quant à la nouvelle année scolaire 2020-2021, elle débuterait officiellement le 9 novembre. Il s’agit, dans un pays extrêmement pauvre où les parents consentent des sacrifices énormes pour l’éducation de leur progéniture, de ne pas perdre  l’année scolaire 2019-2020, donc de la valider. Certains experts et éducateurs de carrière préconisent, par contre, le passage automatique pour les classes autres que celles d’examen, quitte à compléter le cursus durant le prochain exercice.

Un protocole sanitaire pour concilier l’éducation et la santé

En vue de minimiser au maximum, durant la reprise, les risques liés au coronavirus, le Ministère de l’Éducation nationale a conçu et vulgarisé un protocole sanitaire adapté à la réalité de l’école haïtienne et qui peut s’appliquer également à l’université, moyennant des ajustements mineurs. Il tient compte à la fois des recommandations de la « Cellule scientifique de gestion de la crise du coronavirus » et des réflexions  des deux groupes de travail multisectoriels (publics/privés)  mis en place par le MENFP. Il prévoit :

des conditions minimales à respecter par un établissement scolaire pour la réouverture, notamment la disponibilité de plusieurs points  de lavage des mains, même rudimentaires, avec de l’eau et du savon;

un mode opératoire particulier de l’école durant toute la période de fonctionnement : effectif très réduit avec cours en rotation même en week-end, distanciation physique, lavage périodique des mains,  port du masque ou de la visière, récréation séquentielle par classe ou par niveau, couloir de prise en charge médicale et psychologique des cas suspects ou confirmés de Covid 19;

un respect du protocole en question  grâce à une évaluation régulière réalisée par un inspectorat scolaire renforcé, grâce à la participation des élèves, des enseignants et des parents à travers  les « clubs de santé » de l’école, mais aussi par l’encouragement de l’implication des collectivités locales.

En guise de conclusion

La pandémie de Covid-19, malgré son cortège de souffrances physiques et psychologiques, constitue une opportunité en or, voire une obligation, de repenser à la fois nos systèmes  économique, sanitaire et éducatif. Il ne s’agit point de  réformes superficielles ou de retouches cosmétiques, mais d’une révolution en profondeur visant à changer l’individu en vue de  transformer la société, et non l’inverse qui est une utopie. « L’État est un concept, et l’individu, bien qu’il vive dans le cadre de cet État, n’est pas un concept », nous dit Krishnamurti. Ceci implique une nouvelle conception de la santé, de l’éducation, de la vie, de nos rapports avec nos semblables, les biens matériels, le pouvoir, la planète, le cosmos…Il appartient à  l’éducation de changer la manière de voir.

Citons, encore  pour terminer, Krishnamurti, ce grand éducateur, penseur et sage indien :

« Avoir un emploi et gagner sa vie sont une nécessité. Mais n’y a-t-il rien de plus ? Est-ce l’unique but de notre éducation ? Assurément, la vie ne se résume pas à un travail, à un métier; la vie est une chose extraordinaire, un grand mystère ample et profond…..Si nous ne faisons que nous préparer à assurer notre subsistance, nous passerons totalement à côté de ce qu’est le sens de la vie. Or, comprendre la vie est beaucoup plus important que de passer des examens et d’exceller en mathématiques, en physique ou que sais-je encore… »

Dr Erold Joseph

Directeur de la santé scolaire au Ministère de l’Éducation Nationale

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