Il est 21 heures. Les rues de la Cité d’Alcibiade Pommayrac, ville touristique d’Haïti réputée pour son charme, l’hospitalité de ses habitants, sont bouillonnantes. La ville semble à peine réveillée. Au Bord de Mer, à Lakou New-York, les petits restaurants situés juste en face de cette mer turquoise, en cette fin de soirée, sont en effervescence. Les Discs jockeys (DJ) créent de l’animation : Rabòdays, Hip hop, musiques racines, compas métamorphosés, attisent la foule.
C’est dans cette ambiance métissée que des Jeunes du VDH tentent de se frayer un passage, pour mieux véhiculer le message destiné à leurs pairs, à l’occasion de la journée mondiale du Sida, cette année.
La séance est ouverte
Sous une tente placée à l’entrée Sud de la promenade de Lakou Nouyòk, non loin du Centre de Convention, une petite table est installée. On peut aisément remarquer des affiches, des pamphlets, des flyers, des boîtes de préservatifs, des phallus (forme de représentation de l’organe sexuel masculin en érection) utilisés pour des séances de simulation sur l’usage des préservatifs masculins.
Jeune pair éducateur, membre du bureau du VDH dans le Sud ’Est, Jeff, dans le cadre de cette activité, joue le rôle de sensibilisateur. Pour amplifier sa voix, il porte son message à travers un mégaphone, incitant les passants à visiter son kiosque d’informations. Peu à peu, un petit attroupement se forme autour des équipes du RHJS et VDH. Des jeunes approchent, piqués de curiosités, ils posent des questions sans complexe.
Le pair sensibilisateur profite de la présence de tous ces jeunes curieux pour tester leurs connaissances. « Quelqu’un sait-il comment se transmet le virus du Sida ? Par quels moyens peut-on se protéger de ce virus ?» questionne Jeff. Martine, une jeune étudiante en sciences infirmières accompagnée de son fiancé, un policier, répond : « Le virus du sida se transmet par contact sexuel non protégé ou encore par contact sanguin et par transmission verticale, c’est-à-dire, de la mère infectée à son enfant». Jeff applaudit des deux mains.
A chaque explication fournie par les sensibilisateurs, la satisfaction se lit sur le visage des bénéficiaires.
Le dépistage
A côté de cette séance de sensibilisation interactive, le dépistage du Vih/Sida était aussi de la partie. Des jeunes se portent volontaires pour se faire dépister. Charles Stanley, 21 ans, chauffeur de taxi moto, fréquente des centres de dépistage (CD), disponibles à Jacmel, mais à chaque fois, il retourne sur l’asphalte insatisfait. Une interrogation le saisit toujours à la gorge. C’est un motard pressé, le temps lui parait toujours long dans les files d’attente.
L’aménagement pour quelques heures de ce centre de dépistage mobile à Lakou New-York vient combler enfin l’attente de ce père d’une fillette de neuf mois. « Ecoute my man. C’est important de se faire dépister. Regarde ce qui se passe dans notre société. Les jeunes sont livrés à eux-mêmes et les parents sont démissionnaires. Le phénomène (Zokiki), rapport sexuel entre des vieillards avec des filles mineures est toujours en vogue», se désole Stanley, en attente du résultat de son test.
Jimmy Luxama, pair dépisteur à la maison des jeunes du VDH dans le Sud ’Est, assure que le prélèvement et l’analyse du spécimen de sang du jeune motard. « Nous nous efforçons d’établir un rapport de confiance et confidentialité avec les bénéficiaires. Sans cet aspect des choses, on ne va plus recevoir de gens », déclare Jimmy. « Ce qui compte pour nous, c’est de rassurer tout ce qui fréquente le centre, que trois résultats peuvent être attendus, suite à un test de dépistage du VIH. Soit que le test est négatif (le virus n’est pas détecté dans le sang), soit il est positif (le virus est détecté), une prise en charge sera alors proposée ou soit qu’il est indéterminé (incapable de confirmer si le résultat est positif ou négatif) », précise le jeune pair dépisteur.
Les résultats sont prêts
Stanley fait partie des premiers bénéficiaires qui ont reçus le résultat de leur test. L’air soulagé, il est heureux que le résultat de son test soit négatif. «Je viens de franchir une première étape dans ma vie. Je sais aujourd’hui que je ne suis pas infecté. Cette information va renforcer davantage ma conviction pour un comportement sexuel responsable.», a-t-il soutenu.
En Haïti, ce n’est pas toujours facile pour un jeune d’aller volontairement se faire dépister. « L’ignorance, la peur de connaitre que son statut sérologique est positif, la stigmatisation et la discrimination, en sont les principaux facteurs », informe le Dr Odilet Lesperance, Obstetricien-Gynecologue et secrétaire général du Réseau Haïtien de journalistes en Santé (RHJS). Il souligne que le plus grand nombre de personnes testées positives, ont été infectées par quelqu’un qui ne sait pas lui-même son statut sérologique. Pour le médecin-journaliste spécialisé dans le traitement et la diffusion des informations sur la santé, « L’insuffisance du nombre de dépistage du VIH reste un obstacle majeur à la mise en œuvre des recommandations de l’organisation mondiale de la santé (OMS) préconisant de proposer un traitement antirétroviral à toute personne vivant avec le virus ». Il a pris en exemple, cette bribe d’informations tirée du rapport mondial de l’OMS sur la situation du Vih/Sida, publié en 2016, pour renforcer sa thèse « Si environ 18 millions de séropositifs pour le VIH ont actuellement accès aux ARV, ce n’est pas le cas d’un nombre équivalent de personnes atteintes, et une majorité parmi celles-ci ignorent leur statut sérologique. ». Selon Dr Lesperance, « 40% des personnes vivant actuellement avec le VIH/Sida dans le monde l’ignorent, soit plus de 14 millions. « D’où une impérieuse nécessité de conjuguer nos efforts pour une pleine démocratisation des informations relatives à la lutte contre le virus du sida, en particulier, les bienfaits d’un test de dépistage.», a-t-il conclu.